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En ressources humaines, nous avons le réflexe de nous concentrer principalement sur les cas individuels et les grandes politiques organisationnelles. Nous oscillons entre le micro et le macro. Mais l’attention portée sur l’équipe et le groupe de travail revient en force. Leur portez-vous assez d’attention?

Selon l’étude The Power of Hidden Teams publiée par l’ADP Research Institute en 2019, les organisations font fausse route en focalisant leur attention sur la culture et sur les individus comme s’ils opéraient en vases clos. Les organisations gagneraient plutôt à investir là où l’expérience vécue par l’employé est la plus significative : au sein de son équipe.

Lorsqu’il s’agit d’accroître l’engagement ou de développer les talents, les organisations ont le réflexe de travailler sur deux plans. Elles renforcent la culture pour créer un environnement propice à la mobilisation et au dépassement de soi. Elles interviennent aussi auprès des individus en leur offrant, par exemple, des mandats qualifiants et de la rétroaction, ou en ouvrant un dialogue sur leurs forces, champs d’intérêt et contribution professionnelle souhaitée. Tout cela, c’est bien. Mais c’est aussi incomplet.

L’équipe, c’est la réalité de notre expérience au travail. C’est là où nous mettons en commun nos forces et valeurs, où se joue le travail collectif, où nous ouvrons la porte à la confiance, à la rétroaction, au partage d’idées, où nous renforçons notre conception de qui nous sommes à notre meilleur. De ce fait, l’équipe est un important levier d’engagement et de dépassement.

Levier d’engagement

Les chercheurs de l’ADP Research Institute ont sondé près de 20 000 personnes avec l’intention de découvrir ce qui constituait le plus fort levier de mobilisation et de rendement (voir l’encadré ci-dessous).

Affirmations favorisant la mobilisation

« Je suis très enthousiaste face à la mission de mon entreprise. »

« Au travail, je comprends clairement ce qui est attendu de moi. »

« Dans mon équipe, je suis entouré de personnes qui partagent mes valeurs. »

« J’ai l’occasion d’utiliser mes forces tous les jours au travail. »

« Je me sens pleinement appuyé par mes coéquipiers. »

« Je sais que je serai reconnu pour un excellent travail. »

« J’ai une grande confiance en l’avenir de mon entreprise. »

« Dans mon travail, on m’incite toujours à me dépasser. »

Étonnamment, le facteur de mobilisation le plus significatif ne figurait pas dans cette liste! En effet, le fait de travailler en équipe double la probabilité qu’un employé affirme être pleinement engagé, comparativement au fait de travailler seul. Pour les personnes sondées, les gens avec qui elles travaillent et les interactions qu’elles ont avec eux l’emportent sur tout le reste, selon la recherche de l’ADP Research Institute.

Levier de dépassement

Les solutions d’équipe sont un puissant levier de dépassement et les organisations citées dans le livre An Everyone Culture de Robert Kegan et Lisa Lahey l’ont bien compris. Elles sont ce que ces auteurs appellent des « deliberately developmental organizations », soit des organisations qui, de façon délibérée, ont créé une culture où tous les individus se développent en continu à même leur travail quotidien. Charlie Kim, fondateur et PDG de Next Jump, une de ces organisations, résume cette dynamique avec une équation simple : Meilleur moi + Meilleur toi = Meilleur nous.

Meilleur moi, car je m’investis dans mon développement, j’utilise mes forces et je repousse mes limites. Meilleur toi, car je contribue aussi à ton développement en t’aidant à mettre en lumière tes forces et à repousser tes limites. Meilleur nous, car l’équipe et l’organisation y gagnent, devenant des terreaux fertiles pour innover, apprendre et se dépasser. C’est ce qu’on peut appeler une culture de dépassement, où chacun est motivé à donner le meilleur de soi, à faire croître ses talents et ceux de ses collègues.

Comment passer à l’action, concrètement?

S’il est essentiel de travailler sur la culture et sur les individus et sur les équipes, comment peut-on agir simultanément et de façon intégrée sur ces trois fronts?

En se dotant de défis d’équipe transformateurs.

Pourcentage d’employés pleinement engagés :

  • Parmi ceux travaillant seuls : 8 %
  • Parmi ceux travaillant en équipe : 17 %

(Source : ADP Research Institute, 2019)

Qu’est-ce qu’un défi d’équipe transformateur?

C’est un défi à court terme, qu’on se fixe en équipe et qu’on décide de relever pour mieux travailler ensemble. C’est un défi collectif qui inclut le gestionnaire. Personne n’occupe une position d’autorité ou d’expert. Relever des défis d’équipe transformateurs, c’est entreprendre des sprints de développement ciblé qui s’inspirent de ce qui est présent dans l’équipe, à ce moment précis. Comme le dit Ashley Goodall, vice-président directeur chez Cisco, c’est du « one-size-fits-one-team » (« un format pour chaque équipe »).

Comment ça marche?

L’équipe identifie le thème sur lequel portera son développement. Ses membres se rassemblent lors d’un atelier déclencheur pour s’entendre sur un premier défi à relever en équipe dans les 30 à 60 jours.

Chacun détermine ensuite ce que sera sa contribution personnelle au défi d’équipe et la communique à ses coéquipiers. Il s’agit d’un comportement précis et observable sur lequel la personne s’engage à travailler durant les prochaines semaines et qui contribuera directement à relever le défi d’équipe. Chaque contribution peut être différente : l’important, c’est qu’elle soit pertinente pour la personne et pour l’équipe. Telle une déclaration publique, chacun souligne les forces individuelles qui appuient sa contribution et identifie un dérailleur, une « pelure de banane » sur laquelle il risque de glisser dans le cadre du défi.

On passe alors à l’action, concrètement! Les membres de l’équipe se mettent en mode expérimentation. Ils soulignent les bons coups et échangent des rétroactions positives portant sur les contributions de chacun. Ensemble, ils font le point sur leurs progrès toutes les semaines, documentent les avancées et réajustent le tir, pour enfin célébrer la réalisation de leur défi.

Niveau d’engagement des employés :

  • Pleinement engagés : 16 %
  • Se contentent de « venir travailler » : 84 %

(Source : ADP Research Institute, 2019)

Évidemment, ce partage requiert un certain climat de confiance, de collaboration et de sécurité psychologique au sein de l’équipe. Paradoxalement, le défi favorise aussi la mise en place des conditions gagnantes. Les premiers partages seront peut-être discrets et un peu moins significatifs, mais plus on avance, plus on teste nos croyances, plus on se rapproche des défis les plus transformateurs au fur et à mesure que la confiance se bâtit.

Les pionniers

Plusieurs entreprises innovatrices ont déjà emboîté le pas avec les défis d’équipe. C’est le cas de Cisco aux États-Unis, où pas moins de 600 équipes ont mené des exercices semblables au cours des trois dernières années. « Les membres des équipes se découvrent à travers leurs forces et créent de nouvelles habitudes et rituels qui accélèrent leur développement », souligne Ashley Goodall. Les déclarations publiques sont aussi monnaie courante chez Netflix, où tout le monde est invité à déclarer haut et fort ses apprentissages.

Au Québec, le Groupe St-Hubert a fait l’essai de ces pratiques et fait un constat de réussite. Selon Louis-Philippe Laroche, directeur de la formation, « le fait qu’on soit partis d’un défi identifié en équipe, tout le monde y a vu beaucoup de valeur. L’équipe a pris en charge la réalisation du défi de façon autonome, ce qui est formidable pour un gestionnaire. De nouvelles habitudes ont été rapidement créées et l’on voit l’importance de poursuivre avec de nouveaux défis d’équipe. » La formule est en voie d’être intégrée aux activités de développement des leaders.

Conclusion

En se lançant des défis transformateurs, les équipes peuvent devenir des vecteurs d’engagement et de développement. Puisque l’apprentissage se fait dans l’action au quotidien et à partir d’enjeux réels, cela réduit massivement les efforts pour transférer les apprentissages. Et ça ne se limite pas aux équipes naturelles. Une équipe de projet peut relever un défi d’équipe pour créer plus rapidement une synergie au sein du groupe et favoriser le déploiement des forces de chacun. De nouveaux outils technologiques peuvent également être mis à disposition pour encadrer et soutenir l’équipe dans l’intégration de ces nouveaux rituels.

À quand votre premier défi d’équipe?

 

Article original publié dans Revue RH, volume 22, numéro Hors-série.

Référence :

  • BUCKINGHAM, Marcus et Ashley Goodall (2019). The Power of Hidden Teams . Publié par l’ADP Research Institute avec la permission de Harvard Business School Publishing Corporation.
  • KEGAN, Robert et Lisa Laskow Lahey (2016). An Everyone Culture. Becoming a Deliberately Developmental Organization. Brighton, Harvard Business Review Press, 336 pages.

Suggestion de lecture :

McCORD, Patty (2018). Powerful. Building a Culture of Freedom and Responsibility. Arlington, Silicon Guild, 228 pages.